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| Henri Fantin-Latour. Autoportrait. 1861. |
Parmi
les livres les plus importants d'une liste de romans qui mettent en
scène la figure de l'écrivain, on peut citer La
littérature nazie en amérique de
Roberto Bolaño. Sous ce titre
documentaire, le grand écrivain chilien offre une
anthologie fictive d'auteurs infâmes qui ont écrit entre 1930 et
2010 en Amérique Latine. Une parodie féroce de la littérature du
continent. La relation entre le mal et l'écrivain intéresse nombre
d'auteurs comme le montre El cadáver
imposible de José Pablo Feinmann
où un écrivain prêt à tout pour
convaincre un éditeur de publier son livre dans une nouvelle
collection de romans policiers, ne lésine pas sur le sang, les
crimes et les mutilations. Une parodie du roman de terreur et du
roman policier.
On s'arrêtera dans ce bulletin documentaire sur le
portrait de quelques personnalités fictives d'écrivains et on verra
comment les écrivains réels deviennent parfois personnages de
récits. Mais, ce qui reste peut-être le plus intéressant c'est de
voir comment l'écrivain fictif reflète l'écrivain réel et comment
cet exercice propose une réflexion sur le désir et la nécessité
d'écrire .
Portrait
d'écrivain
Parmi
les plus célèbres des écrivains inventés, on compte celui des
Chroniques de Bustos Domecq
(Buenos Aires : Losada, 1967) de Jorge
Luis Borges et Adolfo Bioy Casares :
Honorio Bustos Domecq et ses vingt écrits apocryphes qui constituent
un illustration parodique des nouvelles tendances artistiques.
Une
des premières apparitions du personnage d'écrivain se fait dans le
roman d'une des grandes figures de la littérature vénézuélienne,
Teresa de la Parra (1889-1936) qui raconte, sous forme de journal
intime la vie anémique et sensible des créoles au début du 20e
siècle : Memorias de Mamá
Blanca.
Personnification de son être intérieur et de sa mémoire, ce roman
est le témoignage d'une femme moderne des années 1920 alors que les
ismes
éclosent et qui choisit sa propre voie esthétique.
De
grands romans sont à inclure dans la liste de ces romans au héros
écrivain comme Juegos florales
où Sergio Pitol crée un personnage délirant, excentrique et
fascinant : Billie Upward, écrivain frustré qui se propose
d'écrire l'histoire de deux écrivains pareillement frustrés.
Dans
les productions récentes de la littérature latino-américaine, on
retrouve le thème : le recueil de récits Caracteres
blancos de Carlos Labbé où un
homme et une femme décident de s'échapper dans le désert avec
seulement deux bouteilles d'eau et un cahier dont les pages sont
blanches. Aveuglés par le soleil, ils passent leurs journées à
lire ce que chacun écrit.
La
figure de l'écrivain peut être matière à récit criminel comme
dans Contigo en la distancia
de Carla Guelfenbein, dans Los
impostores de Santiago Gamboa et
dans El hombre que pregunta
de Ramón
Díaz Eterovic.
Grands
écrivains devenus fictions
Nombreux
sont les livres qui mettent en scène des écrivains réels. Ces
livres sont souvent autant des hommages que des enquêtes. Parmi les
plus connus, il faut citer El cartero de Neruda de
Antonio Skármeta
traduit sous le titre Une ardente
patience.
Ce roman, qui met en scène
le grand poète chilien Pablo Neruda, est devenu célèbre par
l'adaptation cinématographique qu'en fit Michael Radford, avec
Philippe Noiret et Massimo Troisi. On peut citer aussi le roman
policier de Leonardo Padura Adios
Hemingway (Paris : Éditions
Metailié, 2005) qui revient sur les années cubaines d'un des
monstres sacrés de la littérature. Diles
que son cadáveres
du Mexicain Jordi Solers s'arrête sur la
figure d'Antonin Artaud.
De
nombreux auteurs réels sont parfois évoqués et étudiés dans des
recueils qui mêlent fiction et essai : Stephan Zweig, Paul
Nizan, Virgilio Piñera, Roberto
Artl, Spinoza ou Kafka dans La baraja
trece de Álvaro
Abos (Buenos Aires : Adriana Hidalgo,
2004) ; Pouchkine, Conrad, Dickens, Dumas, Quevedo,
Chateaubriand, Rimbaud dans Los
mártires de
Juan Esteban Constaín (Bogota :
Editorial Planeta Colombiana, 2004) ; Herman Hesse,
Raymond Carver, Ernest Hemingway, Ricardo Piglia et Vladimir Nabokov
dans El
ángel
literario de Eduardo Halfon
(Barcelona : Editorial Anagrama,
2004). La Mexicaine Carment Boullosa, de son côté s'amuse à
inventer un congrès littéraire dont les participants sont tous
morts dans El complot de los
Románticos
( Madrid : Ediciones Siruela, 2009).
Parmi
ces auteurs réels, bien sûr, on trouve de grandes figures de la vie
culturelle latino-américaine. Ainsi dans El mensajero :
una biografía de Porfirio Barba
Jacob, fruit de dix années de
recherches, Fernando Vallejo recrée un
poète colombien. Dans Margarita está
linda la mar, Sergio Ramírez
entrelace deux moments clés de l'histoire du Nicaragua :
le retour de Rubén Darío en 1916 et l'assassinat d'Anastasio Somoza
par le poète Rigoberto López Pérez. Máscaras
de Leonardo Padura Fuentes, roman traduit sous le titre Électre
à La Havane, met en scène le grand écrivain cubain
Virgilio Piñera, écarté de la vie culturelle officielle de son
pays pour son homosexualité.
Recréer
un écrivain est une tentative de nouer un dialogue avec lui. C'est
ce que montre Los ingrávidos
de la Mexicaine Valeria Luiselli où la narratrice évoque le poète
Gilberto Owen ou, encore, le roman de la
Cubaine Wendy Guerra sur Anaïs Nin.
Parfois
le renvoi à l'écrivain réel se fait par le biais de ses livres
comme dans El libro de Ana de
Carmen Boullosa : Un roman historique qui revient sur le personnage
de Tolstoï : Ana Karenine ; ou comme le fait aussi Juan
Gabriel Vásquez avec son roman Historia
secreta de Costaguana qui raconte
ce que fit Joseph Conrad après sa rencontre avec le Colombien José
Altamiro, en 1903, quand celui-ci venait d'arriver d'un pays caribéen
qui lui avait laisser des souvenirs terribles et pesants.
Le
« je » de l'écriture
Pour
les auteurs latino-américains, la figure de l’écrivain permet de
se pencher sur sa propre pratique littéraire, l'auteur devient
personnage et le roman devient auto-fiction.
Cette
réflexion sur l'écriture apparaît d'abord dans les nombreuses
mémoires que nous ont légués les écrivains latino-américains
comme le Mexicain Homero Aridjis dans La
montaña de las mariposas qui
raconte son initiation à la littérature. De même dans La
pérdida del reino, José Bianco
explicite sa généalogie littéraire.
Toujours
de l'ordre des souvenirs, Las
palabras perdidas du Cubain Jesús
Díaz qui restitue les aventures terribles
et hilarantes - inspirées de ses propres expériences - de quatre
amis qui tentent de publier une revue littéraire indépendante dans
La Havane révolutionnaire et qui se heurtent à la médiocrité, à
la bureaucratie et à la trahison. Déjà le Salvadorien Roque Dalton
dans Pobrecito poeta que era yo
mêlait autobiographie et fiction pour raconter la prise de
conscience politique d'un groupe d'écrivains confrontée aux
problèmes de leur pays. Autobiographique aussi le roman De
sobremesa de José Asunción
Silva qui nous plonge dans l'ambiance
raffinée de la fin du 19e siècle.
L'écrivain
peut créer son double littéraire comme José Donoso, le Chilien
avec son roman El jardín
de al lado où il met en scène
Julio Méndez, un romancier chilien au mitan de sa vie, exilé en
Espagne et obsédé par un succès qui ne vient pas. Mais c'est sans
doute Ricardo Piglia qui illustre le mieux ce jeu d'identité que
l'écrivain joue avec lui-même puisque dans ses romans revient
souvent son alter ego littéraire Emilio Renzi. Le nom complet de
l'auteur étant Ricardo Emilio Piglia Renzi... De son côté, dans
Je ne vous dis pas Adieu...,
Osvaldo Soriano raconte
l'histoire d'un jeune journaliste argentin, homonyme de l'auteur venu
à Los Angeles préparer un livre sur Laurel et Hardy... L'occasion
d'un satyre sur le milieu cinématographique et la société
américaine.
Les
expériences personnelles de l'auteur nourrissent son travail
fictionnel comme le fait Mario Vargas Llosa dans La
tía
Julia y el escribidor
( La
tante Julia et le scribouillard.
Gallimard,
1979), un des romans les plus connus de l'écrivain péruvien. Mais
le plus poignant témoignage est sans doute celui du Cubain Guillermo
Rosales La casa
de los náufragos
(Mon ange. Actes Sud,
2002). Né en 1946, il fit parti des
intellectuels engagés dans la Révolution cubaine. Journaliste et
écrivain, en 1967, son premier roman est sélectionné pour le prix
Casa de las Américas. Il s'exilera aux États-Unis en 1979.
Souffrant de schizophrénie, il sera placé par sa famille américaine
dans un boarding home,
un asile privé, où il vivra jusqu'à son suicide, en 1993. Ce
roman a donc valeur testamentaire. Il met en scène l'abjection et la
violence dans le huis-clos d'un de ces asiles. Un livre désolant qui
interroge sur les processus d'exclusion sociale mis en œuvre dans
les deux sociétés que cet écrivain a traversé.
Le
désir d'écrire
Inventer,
rendre compte d'un écrivain c'est souvent pour les auteurs
d'Amérique Latine écrire sur l'écriture même, s'interroger sur le
désir d'écrire, sur les relations entre la littérature et la vie.
Ainsi
dans Contarlo todo,
Jeremías Gamboa crée une mise en abîme
littéraire : Un matin de septembre, dans
une banlieue de Lima, un jeune péruvien qui n'a rien dans la vie à
part sa propre histoire s'assoie et se met à écrire son premier
roman convaincu d'être désormais écrivain. Il s’appelle Gabriel
Lisboa et son livre s'intitule Contarlo
todo : un récit déchirant
et épique d'une initiation à la littérature.
Le
désir d'écrire se confond souvent avec le désir lui même comme
le montre le roman Ella, que todo lo
tuvo d'Ángela
Becerra qui narre un personnage qui
n'arrive plus à écrire, défait et perdu et qui se crée un
personnage énigmatique : La Donna di Lacrima, une femme qui
reçoit des hommes et les écoute raconter leur vie tandis qu'ils
adorent son corps et son silence. Même thématique dans le roman
Bailar con la vida,
où Zoé Valdés campe une femme écrivain qui affronte sa solitude
et sa sexualité tandis qu'elle écrit un roman érotique dans lequel
la danse et l'art imprègnent tout de sensualité. Et encore :
Dinero par fantasmas
d'Edgardo Cozarinsky où l'histoire d'amour et d'aventures de deux
marginaux de Buenos Aires enflamme l'imagination d'un vieil écrivain
lassé de la vie. On peut citer aussi Mariana
y los comanches de Ednodio
Quintero, roman d'un triangle amoureux où un écrivain désire une
femme doublement : comme objet de désir et comme personnage
littéraire.
Parfois
la réflexion sur la motivation de l'écrivain se fait avec humour
comme dans La interpretación
de un libro de Juan José Becerra
où Mariano
Mastandrea, un écrivain solitaire, et
accro à la télé, parcourt tous les jours, en métro, Buenos Aires
espérant découvrir un lecteur de son roman. Basura
de Héctor Abad Faciolince est le
récit d'une intromission intolérable : le narrateur est un
lecteur obsessionnel des textes que son voisin jette dans les
poubelles.
La
place donnée à la littérature et à la fiction est le thème de
El escritor, el amor y la muerte de l'Argentin Enrique
Medina, un roman basé sur un fait réel : A Buenos Aires ,
un dentiste assassina toute sa famille ; la vie de cet homme qui
avait tout s'était transformée en cauchemar et il avait trouvé
dans l'écriture un refuge. De même, la littérature côtoie la mort
et la vie dans La obra literaria de Mario Valdini
de Sergio Gómez, récit d'une
recherche que fait un professeur sur la vie d'un écrivain disparu et
qui s'était retiré de la littérature. Mais, l'enquête, peu à
peu, devient envahissante et met en péril la vie même du chercheur.
BIBLIOGRAPHIE
- Adiós Hemingway de Leonardo Padura Fuentes (Bogota : Grupo Editorial Norma, 2003)
- El ángel literario de Eduardo Halfon (Barcelona : Editorial Anagrama, 2004)
- Bailar con la vida de Zoé Valdés (Barcelona : Editorial Planeta, 2005)
- La baraja trece de Àlvaro Abòs (Buenos Aires : Adriana Hidalgo, 2004) ARG
- Basura de Héctor Abad Faciolince (Madrid : Ediciones Lengua de trapo, 2011)
- El cadáver imposible de José Pablo Feinmann (Buenos Aires : Norma, 2003)
- Caracteres blancos de Carlos Labbé ( Cáceres : Editorial Periférica, 2011)
- El cartero de Neruda de Antonio Skármeta (Barcelona : Random House Mondadori, 1998)
- El caso Neruda de Roberto Ampuero (Bogota : Grupo Editorial Norma, 2008)
- Contigo en la distancia de Carla Guelfenbein (Barcelona : Penguin Random House Grupo Editorial, 2015)
- El complot de los Románticos de Carmen Boullosa ( Madrid : Ediciones Siruela, 2009)
- El congreso de literatura de César Aira (Barcelona : Random House Mondadori, 2012)
- Contarlo todo de Jeremías Gamboa (Barcelona : Random House Mondadori, 2013)
- Crónicas de Bustos Domecq de Jorge Luis Borges et Adolfo Bioy Casares (Madrid : Losada, 2003)
- De sobremesa de José Asunción Silva (Madrid : Ediciones Hiperión, 1996)
- Los diarios de Emilio Renzi de Ricardo Piglia ( (Barcelona : Editorial Anagrama, 2015)
- Diles que son cadáveres de Jordi Soler (Barcelona : Random House Mondadori, 2011)
- Dinero par fantasmas de Edgardo Cozarinsky (Barcelona : Tusquets Editores, 2013)
- Djuna y Daniel de Ena Lucía Portela (Barcelona : Random House Mondadori, 2008)
- Domingo de Revolución de Wendy Guerra (Barcelona : Editorial Anagrama, 2016)
- Echeverría de Martín Caparrós (Barcelona : Editorial Anagrama, 2016)
- Ella, que todo lo tuvo de Ángela Becerra (Barcelona : Editorial Planeta, 2009)
- El escritor, el amor y la muerte de Enrique Medina ( Buenos Aires : Editorial Planeta Argentina, 1998)
- Historia secreta de Costaguana de Juan Gabriel Vásquez (Madrid : Santillana Ediciones Generales, 2007)
- El hombre que pregunta de Ramón Díaz Eterovic (Santiago : LOM Ediciones, 2002)
- Los impostores de Santiago Gamboa ( Barcelona : Editorial Seix Barral, 2002)
- Los ingrávidos de Valeria Luiselli (México : Sexto Piso, 2012)
- El jardín de al lado de José Donoso (Santiago de Chile : Aguilar Chilena de Ediciones, 1996)
- Juegos florales de Sergio Pitol (México : Ediciones Era, 1990)
- El libro de Ana de Carmen Boullosa (Madrid : Ediciones Siruela, 2016)
- La literatura nazi en América de Roberto Bolaño (Barcelona : Editorial Seix Barral, 2005)
- Margarita está linda la mar de Sergio Ramírez (Madrid : Suma de Letras, 2001)
- Mariana y los comanches de Ednodio Quintero (Canet de Mar : Editorial Candaya, 2004)
- Los mártires de Juan Esteban Constaín (Bogota : Editorial Planeta Colombiana, 2004)
- Las memorias de Mamá Blanca de Teresa de la Parra (Madrid : ALLCA XX, 1997)
- El mensajero : una biografía de Porfirio Barba Jacob de Fernando Vallejo (Bogota : Distribuidora y Editora Aguilat, Altea, Taurus, Alfalguar, 2003)
- La montaña de las mariposas de Homero Aridjis (Madrid : Suma de Letras, 2001) MX
- Nuestro GG en La Habana de Pedro Juan Gutiérrez (Ciudad de La Habana : ediciones UNION, 2006)
- La obra literaria de Mario Valdini de Sergio Gómez (Madrid : Ediciones Lengua de trapo, 2002)
- La pérdida del reino de José Bianco (Buenos Aires : Adriana Hidalgo, 2004)
- Pobrecito poeta que era yo de Roque Dalton (San Salvador : UCA Editores, 2000) El Salvador
- Posar desnuda en La Habana de Wendy Guerra ( Madrid : Santillana Ediciones Generales, 2011)
- La semilla de la ira : Máscaras de Vargas Vila de Consuelo Triviño Anzola (Madrid : Editorial Verbum, 2013)
- Varamo de César Aira ( Barcelona : Editorial Anagrama, 2002)

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